C’est cette vision africaine de Dieu qui est à la base de la catégorie religieuse "animisme" inventée par les l’Occident pour ranger les Africains en matière religieuse. Ce classement prétend que les Africains ne connaissent pas Dieu, qu’ils adorent plutôt les animaux, les objets et les lieux où Dieu a traduit sa grandeur et sa magnificence. Il s’agit là, soit de l’ignorance de la réalité, soit de sa falsification volontaire afin de nous culpabiliser et nous pousser à abandonner notre culture.
Par contre, le modèle religieux importé de l’Occident est un modèle associatif constitué des différentes confessions religieuses qui poussent de nos jours comme des champignons. Ce modèle associatif recèle de nombreuses imperfections majeures. La première est que chaque association religieuse est une œuvre humaine dont le code disciplinaire est conçu avant tout pour encadrer, renforcer et sauvegarder les intérêts des fondateurs. Les préoccupations matérielles actuelles dans les organisations relieuses, les luttes pour le pouvoir en leur sein, les scandales financiers et sociaux qui s’y déroulent déconcertent chaque jour davantage les fidèles. Les associations religieuses se présentent de plus en plus comme des entreprises hautement lucratives. Les soi-disant "hommes de Dieu" roulent carrosse alors que leurs ouailles pataugent dans une misère indescriptible. Par ailleurs, les déclarations de certains ecclésiastiques telles que "Faites ce que je dis et non ce que je fais" laissent perplexes les esprits honnêtes. En effet, il est difficile de comprendre que quelqu’un de sensé recommande la voie de salut tout en choisissant durablement celle de la perdition. On nous rétorquera qu’il y a des brebis galeuses partout. Nous en convenons. Mais elles ne devraient pas être légion parmi les soi-disant appelés de Dieu.
La deuxième imperfection du modèle associatif est son caractère exclusif. En effet, les différentes associations religieuses développent un antagonisme parfois ouvert et violent, mais toujours latent. Ainsi, les différentes confessions religieuses monothéistes se regardent toujours en chiens de faïence, en dépit de la paix des braves ou de la cœxistence pacifique appelée écuménisme ou « dialogue des religions » qu’elles tentent d’instaurer. Chacune croit être seule à détenir la vraie vérité et ne rate aucune occasion, souvent par médias interposés, pour étaler au grand jour ce qu’elle croit être les insuffisances, les inconsistances et les hérésies des autres. A l’arrière plan de ces démarches se cache le souci de maximiser le nombre de fidèles, c’est-à-dire les rentrées matérielles et financières. En effet, si le souci majeur était de sauver les âmes tel qu’elles prétendent, chacune se contenterait du peu qu’elle réussit à récupérer, surtout qu’aucun objectif à atteindre absolument n’est prescrit.
La troisième imperfection est l’esprit mercantile consubstantiel aux associations. Ainsi, on constate de nos jours que pratiquement tous les actes religieux sont payants, et parfois au prix fort. A croire que la voie de Dieu n’est réservée qu’à ceux qui ont des moyens. Devant la misère galopante dans de nombreuses sociétés, les associations religieuses rivalisent, à grand renfort de publicité, des campagnes d’évangélisation avec promesse de beaucoup de miracles dont la plupart, pour ne pas dire tous, sont fabriqués par les organisateurs, moyennant espèces sonnantes et trébuchantes. Ces campagnes se terminent toujours par une quête dont la contribution de chacun devrait être, selon les prédicateurs, à la hauteur des grâces attendues car, poursuivent-ils, Dieu aime ceux qui donnent beaucoup et avec joie.
La quatrième imperfection est le fait que les associations religieuses ne fonctionnent que sous l’autorisation du pouvoir temporel, ce qui limite très souvent leur autonomie et leur capacité à dénoncer sans risque les dérives des gestionnaires de la cité. Dans certains cas, certaines associations religieuses sont amenées à servir ouvertement des régimes au détriment des populations, moyennant des avantages indus de toute nature.
Ces quelques imperfections parmi tant d'autres que recèlent les associations religieuses montrent qu'elles voguent assez loin de leur objet déclaré, en dépit de quelque vernis souvent trompeur et d'une liturgie parfois bien ficelée. La vie sociale quotidienne des fidèles et même de nombreux ecclésiastiques est très souvent en rupture totale avec les exigences du message religieux véhiculé. On n'est souvent pas loin d'un théâtre de mauvais goût où on se cache derrière le saint nom de Dieu pour faire le contraire de ce qu'on professe.
La cinquième imperfection est que les lieux de rassemblement des fidèles sont devenus des lieux hautement mondains où le paraître semble prendre le pas sur le spirituel. Les gens aux mœurs peu recommandables sont rangés au premier plan à cause de leur fortune très souvent mal acquise ou de leur position sociale. Les scandales de mœurs qui s'y déroulent impliquent même les Pasteurs.
Il va sans dire que la vision africaine est la plus saine et la plus naturelle car dépouillée de toutes les imperfections ci-dessus relevées. Elle crée en permanence, c'est-à-dire en tout instant de la vie, une relation directe et personnalisée entre l'homme et son créateur. C'est ainsi qu'en Afrique traditionnelle, toute la vie est un hymne à Dieu. Le "prêtre" de famille qui est en général le chef de famille ou ceux du royaume qui sont des initiés ne vont sur les lieux sacrés consacrés à Dieu qu'occasionnellement. Ils y officient normalement en état de parfaite pureté, sur leur propre initiative ou à la demande d'un membre de la communauté, pour rendre hommage à Dieu pour ses bienfaits ou pour solliciter sa miséricorde, sa protection et ses bénédictions en cas de mauvais sorts avérés ou potentiels. Ceci est à l'image du "chêne qui était dans le lieu consacré à l'Eternel"(La Bible, Josué 24, 26-27) où Josué a réuni pour la dernière fois le peuple d'Israël.
Nous devons absolument nous réapproprier cette vision car elle est la source vivifiante des valeurs sociales de solidarité, de partage et de vie communautaire qui garnissaient notre substrat social et rythmaient la vie.