La tradition
De tout temps et dans toutes les sociétés humaines, les populations font face pratiquement aux mêmes événements sociaux. Mais on constate que chaque société a développé au cours des temps une manière particulière de prendre en charge ces événements. Cette manière particulière est ce que nous appelons les us et coutumes de cette société, ou en d'autres termes sa tradition.
La modernité
Les dynamismes inévitables de chaque société, dus à sa vitalité interne (innovations propres), à son enrichissement ou à son aliénation nés de ses contacts avec les autres sociétés, font que les traditions de toutes les sociétés humaines connaissent constamment des mutations. La modernité d'une société apparaît alors comme l'état actuel de l'évolution de sa tradition.
Il apparaît alors que le rapport, conflictuel ou harmonieux, entre la tradition et la modernité dépend de la nature des mutations subies au cours des temps par la tradition.
Les mutations découlant de la vitalité interne de la société sont diffuses et souvent imperceptibles dans la mesure où elles n'attirent souvent pas l'attention. Ces mutations sont des améliorations apportées aux us et coutumes. Il va sans dire que la modernité n'est qu'une version améliorée et largement partagée de la tradition. La modernité et la tradition ne peuvent avoir qu'un rapport harmonieux.
Les mutations découlant des contacts avec les autres sociétés débouchent sur l'enrichissement ou sur l'aliénation. Elles débouchent sur l'enrichissement quand les expériences extérieures vécues ou reçues sont préalablement soumises à l'épreuve de son référentiel socioculturel, c'est-à-dire sa tradition et plus généralement sa culture. C'est en effet ce référentiel qui sert de base de comparaison ou de tamis pour trier ces expériences extérieures afin de ne transférer dans sa propre tradition que les aspects innovants. Cette démarche garantit l'harmonie entre la tradition et la modernité. C'est ainsi par exemple que les danses traditionnelles importées, le nouveau modèle de construction, les tenues vestimentaires décentes, les ustensiles de cuisine, l'outillage, l'utilisation du gaz, de l'électricité, des foyers améliorés, les soins médicaux modernes, etc. ne posent pratiquement aucun problème d'adéquation avec la tradition passée.
Les contacts débouchent sur l'aliénation quand on transfère servilement dans sa tradition, c'est-à-dire sans discrimination et discernement des manières de faire ou d'être des autres. Ce genre de transfert découle de nombreux facteurs parmi lesquels on peut citer : le pouvoir coercitif d'un oppresseur, la perte de sa culture, le manque de confiance en soi, les mirages de la nouveauté. C'est peut-être le lieu d'évoquer la politique coloniale d'assimilation de la France qui a provoqué en Afrique un véritable génocide culturel. A travers sa soi-disant « mission civilisatrice », la France a procédé à un véritable lavage de cerveau au profit de la culture française. La langue parlée était obligatoirement le français, les programmes scolaires étaient français, etc. Bref il fallait adopter les manières d'être et de faire françaises, c'est-à-dire renoncer à être soi-même, pour être un homme civilisé et avoir les faveurs des maîtres occidentaux. La modernité découlant de telles mutations ne peut qu'être en conflit avec la tradition et c'est le propre des sociétés actuelles dans leurs nombreux compartiments. Par exemple, beaucoup d'Africains adoptent officiellement la monogamie recommandée par l'Occident, mais vivent en fait une polygamie officieuse ; de nombreux pays africains pensent que les maisons de retraite sont un signe de modernité, alors que l'Occident regarde avec admiration la manière africaine de traitement des personnes âgées ; la nouvelle conception importée du mariage comme étant uniquement une affaire du couple et non des familles comme dans l'Afrique traditionnelle, fragilise énormément les unions et accroît les divorces, etc.